- Maluma Cervantes
Les scientifiques des laboratoires Cervantes avaient vaguement laissés entendre que certains éléments se démarquaient à Caelum. Quelques coups de fil plus tard et un seul nom était ressorti de tout cela : Mme Deschênes. Ses recherches concernant les substances sécrétées par certains pokemon insectes et les possibilités qui (théoriquement) en découlaient avaient piqué sa curiosité. Quelle était sa motivation ? Oh vous savez, parfois il ne vaut mieux pas savoir ce qu’il se passe dans la tête d’un homme de pouvoir. Mais vraiment pas.
▬ Avec un peu de chance, cela pourrait plaire à Helga. murmurait-il.
Plus tard dans la journée, il arrivait au laboratoire. Bien qu’étant un habitué des lieux - monsieur était du genre à donner du crédit à certains projets fous - et qu’il pouvait être facilement reconnu comme un investisseur à se mettre dans la poche, il n’en n’oubliait pas moins les formalités de l’institution. Alors, contrairement à bien d’autres endroits, il se comportait d’une manière qui ne pouvait être qualifiée de désagréable. En aucune façon. Il était invité à attendre.
▬ Si cela est nécessaire, soit. Puis-je patienter par ici ? - il désigne une pièce un peu à l’écart de l’attente ; la foule ou même être trop entouré, il voit cela en horreur ; la standardiste lui annonce que oui - Merci bien.
Ainsi, il allait se placer dans un fauteuil. Ici, il ne faisait pas de vague. Il avait quelques amis ayant réussi dans la communauté scientifique. Leur faire honte n’était pas dans ses projets, et se faire honte à lui-même non plus. Être mal vu jetterait l’opprobre sur les étudiants ou les tout-récemment docteurs qu’il supportait avec son argent ainsi que son image. Le Cervantes pouvait faire face à la véhémence de bien du monde, ce qui n’était - hélas - le cas que de quelques personnes seulements sur une centaine.
Maluma attendait que le responsable dudit projet vienne l’approcher, ayant pris rendez-vous avec elle (ou lui). C’était un détail auquel il n’avait pas spécialement accordé d’attention pour tout dire. Ce qui l’intéressait, c’était les résultats ou bien les spéculations. Espérons qu’il pouvait être servi aujourd’hui. Espérons-le.
- Daiya Deschênes
De fil en aiguille
Feat Maluma Cervantes
Les cauchemars réveillèrent Daiya au beau milieu de la nuit, si bien qu’elle ne put se rendormir. Elle ouvrit les yeux, terrifiée, et l’odeur âcre de la fumée pénétrait sa gorge, lui brûlait les yeux. Elle se mit à tousser, se redressa. Un instant, elle crut être revenue quelques mois dans le passé. Mais ce n’était qu’une illusion. Un rêve, comme d’habitude. Pourtant, l’odeur du feu ne quitta pas la pièce. Les pupilles dilatées en signe de sa peur, Daiya avança à tâton dans le noir. La cuisine. La cuisine brûlait.
Elle attrapa un extincteur. Elle laissait toujours des extincteurs, partout, dans les trois pièces de son appartement. Depuis l’incendie qui avait ravagé sa vie, qui avait tué son mari et pris ses enfants, elle ne dormait plus, hantée par les souvenirs des flammes. Et elle gardait ses précautions.
Et il ne fallait pas oublier que Destroy, sa Pyronille, aimait elle aussi brûler des choses. D’ailleurs, en entrant dans la cuisine, Daiya put remarquer la chenille en train de flamber des épinards pour les manger. Destroy était particulière, et elle appréciait manger tout ce qu’elle trouvait… Après les avoir réduits en morceaux de charbon.
Daiya soupira et laissa retomber l’extincteur, qui heurta le carrelage avec un bruit sourd. Destroy sursauta et se tourna vers sa dresseuse. Ses yeux bleu glace la dévisageaient. Destroy n’était pas spécialement gentille, même si elle n’avait pas mauvais fond. Elle avait tout perdu elle aussi.
Elle détestait le monde, comme Daiya. Le monde ne comprenait pas leur douleur.
Daiya lut le reste de la nuit. Lorsque le soleil commença à se lever, il était déjà plus de sept heures. Elle se prépara un thé, ne laissant pas l’occasion à Destroy de jouer avec le sachet, qui aurait fini en cendres. Daiya partagea le contenu de la théière avec Ephemera, la Lépidonille bienveillante. Au moins, elle ne faisait pas tout flamber, elle. Et elle appréciait le bon thé, ce qui n’était pas le cas de Destroy. Mais Destroy n’aimait que faire brûler des objets. Le reste, elle s’en fichait.
Il fut bientôt l’heure de partir au travail. Daiya avait la chance de travailler dans un laboratoire, avec les pokémons Insectes qu’elle avait toujours adorés. Ils étaient sa passion depuis toujours, et au moins, elle n’avait pas perdu son travail. Elle partait très tôt le matin et rentrait bien souvent tard le soir, sans jamais compter ses heures supplémentaires. Elle le faisait pour le plaisir plus que pour l’argent, en réalité.
Elle quitta donc le petit appartement qu’elle louait – elle n’avait pas l’argent pour racheter une maison, et n’en avait pas la moindre envie, maintenant que tout avait brûlé.
Daiya Deschênes travailla sur ses expérimentations. Elle notait tout dans un carnet bleu – que Destroy n’avait pas encore réussi à cramer. Soudain, on l’appela. Un rendez-vous avec un certain Maluma Cervantes. La femme s’en souvenait vaguement. Elle referma le carnet pour accueillir l’inconnu. Non, ce n’était pas un inconnu ; il possédait une grande entreprise, et était… Il travaillait dans… Daiya ne savait plus. Pourquoi avait-elle accepté ce rendez-vous ? La secrétaire avait la fâcheuse tendance à accepter tous les rendez-vous dès qu’on lui parlait argent. Quelle importance, puisque tout cet argent pouvait brûler à tout moment ?
« Monsieur Cervantes. Enchantée, je suis Daiya Deschênes. Nous avions rendez-vous, il me semble… Rappelez-moi les raisons de votre venue ? C’est que je suis très occupée, en ce moment. »
Elle avait surtout l’esprit très occupé, même si elle ne mentait pas réellement. Elle s’acharnait, et elle avait réussi à synthétiser la soie produite par ses Insectes. Et Daiya avait même créé un tissu qui pouvait être utilisé dans les gilets pare-balles, ou simplement comme manteau d’hiver ; un vêtement résistant, élastique, calorifuge. Elle devait encore faire quelques recherches, mais elle était persuadée que la soie était un matériau révolutionnaire.
Cervantes était-il venu pour ça ? Pour... la soie ?
- Maluma Cervantes
▬ Ravi de faire votre rencontre. J’aimerais jeter un oeil indiscret à vos recherches et en savoir plus sur vos ambitions, votre projet. Je dois avouer qu’il m’intéresse grandement, il ne serait pas fortuit que j’investisse dans celui-ci.
Y avait-il une contrepartie ? Une interdiction de breveter la chose, une exclusivité peut-être ? Pas le moins du monde. Aider, si on peut dire cela comme ça, à rendre ce monde plus avancé qu’il ne l’était déjà - une bien belle ambition. Honnêtement, il faisait plus cela pour l’image mais aussi (quelque part) pour avoir un cadeau digne de ce nom à offrir à sa douce. Il faut dire qu’elle n’était pas du genre à s’affrioler de bijoux et autres futilités du regard avare.
▬ Je n’ai aucune réelle idée de l’avancement de vos travaux mais des échantillons ou bien des exemples d’applications concrètes dans la vie du quotidien suffiront amplement. - pour l’heure, du moins - Si cela ne vous prend pas un temps bien trop important à vos yeux, évidemment.
Evidemment. Maluma agrippa sa tablette avant de tapoter quelque chose dessus, il répondait simplement à un message de la part d’un de ses collaborateurs les plus proches. Certes, sur ce coup, il ne faisait montre d’une tenue exceptionnelle mais il se plaît à dire que les scientifiques étaient assez isolés du reste des secteurs de l’emploi pour ne pas se formaliser pour si peu.
▬ Veuillez m’excuser, quel étourdis fais-je. - il range sa tablette puis sourit - Paré à partir, je vous suis quand vous l'aurez décidé.
L’image était d’une grande valeur mais le temps était d’autant plus précieux, il espérait que Mme. Deschênes puisse le comprendre. Dans le cas contraire, cela ne lui ferait - certes - ni chaud ni froid mais la communication pouvait s’en trouver… Eh bien… Peut-être plus ardue.
M’enfin.
- Daiya Deschênes
De fil en aiguille
Feat Maluma Cervantes
Jeter un coup d’œil indiscret. Au moins, ça avait le mérite d’être clair. Le type était franc. C’était une bonne qualité, la franchise, que Daiya ne possédait peut-être pas. Du moins pas toujours, préférant souvent se taire pour éviter les conflits. Mais peu importait aujourd’hui. Ils avaient rendez-vous, tous les deux, malgré une légère réticence de la jeune femme. Elle connaissait ce type, elle l’avait déjà vu… Quelque part. Télévision ou article en ligne, en tout cas, elle avait déjà vu sa tête. Et il n’avait pas mauvaise réputation. C’était peut-être ce qui l’agaçait ; il avait tellement bonne réputation qu’elle n’avait probablement aucune raison de lui refuser quoi que ce soit.
Mais d’abord, elle attendait de voir ce qu’il voulait. Ce qu’il voulait proposer. Car progresser sur un marché pouvait s’avérer très difficile, une jungle, même. Daiya ne savait pas encore si elle était prête à se battre pour éliminer la concurrence. Elle n’y avait pas réfléchi.
Elle réfléchissait peu à l’économie, la politique, et toutes ces choses dont elle ne connaissait rien. Ce qu’elle faisait, c’était par passion, sans réfléchir aux besoins des gens. Elle avait besoin de quelqu’un pour l’aider dans les démarches commerciales. Ce Monsieur Cervantes, peut-être ?
Il était trop poli. Ça non plus, ça ne plaisait pas à Daiya. De toute façon, personne ne lui plaisait. Pas depuis que son mari avait péri dans l’incendie qui avait ravagé sa vie. Mais Maluma Cervantes n’avait pas besoin de lui plaire. S’il adhérait à son idée, à ses projets, et qu’il acceptait de financer tout ça, ce serait une belle victoire. Ils n’avaient pas besoin de s’apprécier. Daiya apprendrait peut-être à le connaître, plus tard.
À apprendre qu’il avait une compagne, lui. Une compagne qui n’était pas à l’état de charbon.
Ça la rendrait folle. Daiya était déjà folle. Aujourd’hui elle était plutôt de bonne humeur pourtant, malgré le manque de sommeil, camouflé par un peu de maquillage qui dissimulait ses cernes.
Elle hocha la tête par politesse. Daiya aussi était trop polie, face à un investisseur. Elle ne se plaisait pas ainsi. Mais dans les relations professionnelles, il fallait croire que ne pas être soi-même était mieux. Pas trop, du moins. Cervantes rangea sa tablette, qu’il avait saisi pour – semblait-il – écrire un message à quelqu’un. Daiya l’attendit en silence. C’était lui l’investisseur ; elle n’allait pas lui reprocher d’utiliser ses gadgets s’il le souhaitait.
Impassible. Il fallait rester impassible. Ne montrer aucun sentiment. C’était plus sûr, c’était ce que Daiya faisait lorsqu’elle devait ne plus être seule.
« Allons dans mon laboratoire, si vous êtes prêt. »
Non. Son ton paraissait sec. Ça n’allait pas non plus. Si elle se forçait à rester le plus impassible possible, elle ne devait pas devenir glaciale pour autant. Elle se reprit.
« C’est là que je fais toutes mes expérimentations. Vous ferez la connaissance de mes protégés ! Vous vous intéressez à la soie, vous aussi ? »
Daiya se montrait plus amicale lorsqu’il s’agissait de ses pokémons. Elle mena Cervantes dans le couloir lumineux – presque trop. Et ils arrivèrent rapidement à la porte du laboratoire, qu’elle ouvrit à l’aide d’une petite clé argentée. Aussitôt, la Pyronille vint accueillir l’inconnu en s’approchant de lui, l’observant sous toutes ses coutures de son regard bleu.
- Maluma Cervantes
▬ Honnêtement. - il observe les environs - Elle ne m’a jamais frappé l’esprit, pas plus que ça du moins. - une vérité parmi tant d’autres - Mais je me plais à penser que les plus grandes idées se nichent au sein des concepts les moins médiatisés. - l’homme voit plutôt loin, pense toujours à l’argent - Le potentiel le plus juteux se trouve sans nul doute dans la médecine et ses sœurs.
Chirurgie, recherches militaires ; tout ce qui avait un rapport avec l’amélioration des conditions de vie via celle des soldats. “Charmez vos dirigeants et vous charmerez la planète entière.” Hélas, cette soie pouvait être aussi performante qu’on le voudrait, elle ne rendrait jamais sa jambe à Helga. Mais l’idée n’était pas de pouvoir lui rappeler ce souvenir douloureux mais plutôt lui faire oublier. En des termes plus basiques et pour être tout à fait clair, il venait ici un peu comme s’il était dans un magasin de jouets. Maluma était sûr de sortir avec un présent mais lequel ? Il ne manquait que cette partie à éclaircir.
Une pyronille s’approchait du basané avec - semblait-il - un certain intérêt. C’était sans doute dans ce genre de moment qu’il ne pouvait se permettre d’être vraiment lui-même, à en juger par la chaleur soudaine de Daiya. Les pokémons ne lui étaient d’aucune sympathie et ne lui inspiraient pas grand chose. Leur existence ne lui permettait que d’amasser encore plus d’actifs et, à terme, en faire un homme puissant.
▬ Ce petit être vous aide t-il dans vos recherches ?
Mais il savait se montrer pragmatique. Une main plongée dans une poche intérieur de sa veste, il sortit un paquet de clopes. En l’agitant doucement, il en faisait ressortir une pour finalement la placer sur ses lèvres. Puis il rangeait le paquet et saisissait la cigarette avec deux doigts, en la penchant en direction du pokémon présent.
▬ Mme Deschênes, puis-je ? demandait-il poliment à son interlocutrice.
Elle pouvait bien refuser, c’était son laboratoire et non le sien après tout.
- Daiya Deschênes
De fil en aiguille
Feat Maluma Cervantes
Son domaine, c’étaient les baies – la femme s'en souvenait maintenant. Daiya pouvait se demander pourquoi soudainement, le jeune homme avait décidé de venir dans un laboratoire pour financer un projet de soierie, mais après tout, ce n’étaient pas ses oignons. S’il voulait financer, qu’il finance ; de son côté, la scientifique fabriquerait sa soie. Destroy était un pokémon plutôt instable, et dans le laboratoire, Daiya avait pris l’habitude de ne rien laisser traîner qui pourrait flamber. Plus loin, sur une paillasse, dormait une Lépidonille roulée en boule. Des chenilles, voilà les pokémons que la femme possédait.
Ils étaient sa passion depuis toujours, ces pokémons. Et pourtant, elle n’avait adopté la Pyronille que quelques mois auparavant, et seulement quelques jours pour la Lépidonille. Maintenant, Daiya voulait voyager un peu pour récupérer d’autres pokémons de ce type.
Et notamment les pokémons arachnides ; Mimigal, Statitik, Araqua… Ces pokémons de type Insecte produisaient eux aussi de la soie. Elle devait les étudier de plus près, bien qu’elle ait pu observer une Mimigal dans son laboratoire, pokémon qui ne lui appartenait pas.
Cervantes sortit une cigarette. Décidément, ce type faisait comme chez lui. Enfin, Daiya fumait elle aussi, et elle ne s’empêchait pas de le faire dans son laboratoire. Aussi, elle hocha la tête pour lui signifier qu’il pouvait fumer, et fit quelques pas jusqu’à la fenêtre, qu’elle ouvrit. Mieux valait aérer. La femme fut tentée de prendre une cigarette dans sa veste, mais elle se résigna ; elle fumerait plus tard, car elle n’aimait guère être dérangée durant ses pauses cigarettes. Elle préférait s’octroyer une pause seule, en toute tranquillité.
Se retournant vers lui, elle répondit à la première question posée par l’investisseur.
« Oui, ma Pyronille et ma Lépidonille m’aident toutes les deux. La soie produite par leur attaque Sécrétion est particulièrement solide. Il apparaît que la soie de Pyronille a une résistance toute particulière à la chaleur, et les soies de Mimigal, quant à elles, sont plus résistantes que n’importe quel métal : elles peuvent supporter un poids de plus de 45 tonnes par cm², en plus d’être très flexibles et légères. »
À partir de cette soie, Daiya savait qu’on pourrait vite fabriquer des vêtements pour des professionnels. Un gilet pare-balles avec la soie particulièrement résistante, et un uniforme très léger et résistant aux flammes pour les pompiers. Encore faudra-t-il faire de nombreux test grandeur nature, pour vérifier qu’il n’y ait pas de problème avec ces matériaux. Mais c’était sur la bonne voie.
Daiya se demandait souvent, si les pompiers avaient eu un vêtement comme celui-ci, s’ils n’auraient pas pu sauver son mari et les yeux de sa fille. Peut-être pas, après tout ; toujours était-il qu’elle consacrait à présent beaucoup de temps dans cette fabrication de soie. Elle alla chercher un échantillon, carré de vingt-cinq centimètres, afin que Cervantes puisse se faire une idée du produit, et le lui tendit, expliquant :
« Voilà la soie de ma Pyronille ; nous l’avons déjà mise dans des flammes, mais pour terminer les tests, il nous faudra augmenter considérablement la chaleur à laquelle nous exposerons le tissu. Il faudra également vérifier que le gilet soit assez isolant, pour que la personne qui le porte ne cuise pas à l’intérieur… »
Parce qu’un gilet résistant, c’était bien beau, mais si le pompier cuisait comme une viande en papillote, ce ne serait guère rentable. Daiya savait qu’il y avait encore du boulot, et notamment étudier les alliages de tissus, mais elle était confiante. Son travail était sur la bonne voie.
- Maluma Cervantes
▬ Je vois. - avant de souffler un peu de fumée devant lui - Avez-vous en tête d’autres pokémons ou bien un procédé en particulier qui vous permettrait d’accélérer vos recherches ? - une légère pause ; il reprend - Ou tout du moins, de vous apporter des éléments loin d’être négligeables en ce qui concerne votre avancée ?
Si l’on pouvait reconnaître quelque chose au dirigeant de la Compania Cervantes, c’était sans doute sa faculté à ne pas tourner autour du pot pour plonger sa main au fond de celui-ci et en ressortir ce qu’il désirait. En affaire comme partout ailleurs, c’était ainsi qu’il fonctionnait. Ne sachant pas réellement si son interlocutrice avait habituellement cet air paumé sur le visage, il décida de ne pas s’en formaliser. Après tout, Mme. Deschênes était là pour étudier, utiliser ses méninges et non avoir l’air parfaite pour pouvoir danser un bal ou encore être parfaite pour briller au milieu d’un gala. Chacun son univers et chacun ses problèmes - peu importait leur nature -, il l’avait compris depuis bien longtemps déjà.
▬ Isolant vous dites ? - il saisit doucement l’échantillon, le frotte et l’observe sous toutes ses coutures - Oui, il est clair que ce serait problématique de perdre des vies sur une erreur de calcul. - son briquet s’allume ; sous sa main se tient l’échantillon et sous ce dernier se tient la flamme - Pensez-vous qu’en évoluant, votre Pyronille serait apte à produire quelque chose de plus performant ?
Il ne ressentait aucune chaleur dans sa main, ou très peu. La pointe rouge se concentrait en un point mais restait quand même difficilement décelable. Un léger rictus dessiné sur son visage tandis qu’il continuait de fumer, il éteignait son briquet et déposait l’échantillon sur une table proche.
▬ Aussi, j’ai eu vent d’un talentueux scientifique spécialisé dans les pokémons insecte dans la région. Je pourrais lui parler de vous et vos projets, peut-être que cela pourrait pour aider. Qu’en dites-vous ? Vous pourriez dès lors sûrement voir bien plus loin qu'un isolant et un fil très résistant.
Serviable par-dessus tout, wow. Étendre le champ des possibilités de son investissement l'intéressait énormément, peut-être trop.
- Daiya Deschênes
De fil en aiguille
Feat Maluma Cervantes
Daiya laissa l’investisseur observer le tissu sous toutes ses coutures. Il alla même jusqu’à saisir son briquet, avec lequel il venait d’allumer sa cigarette, pour tester l’efficacité de l’échantillon. Bien sûr, Daiya avait déjà effectué certains tests de résistance, notamment à la chaleur. Mais pour terminer son étude, elle devait se procurer des instruments plus coûteux. Elle était certaine que ce tissu pourrait être très utile. Habituellement, les uniformes pour les pompiers étaient principalement créés à partir de fibres synthétiques. Des hydrocarbures. Et qui disait hydrocarbure disait surtout énergie fossile, qui émettait beaucoup de gaz à effet de serre. De plus, ces tissus étaient relativement lourds, et avaient une bien moindre souplesse que la soie de la Pyronille.
De tout point de vue, selon Daiya, ce tissu était l’avenir. Il coûterait moins cher que le tissu synthétique, si elle parvenait à faire un élevage de pokémon chenilles.
Si Monsieur Cervantes avait décidé d’être honnête, il en était de même pour la jeune femme. Tout ce dont elle avait besoin, pour l’instant, c’était de l’argent. De l’argent pour acheter des machines performantes et réaliser tous les tests nécessaires à la production d’un tissu viable. Et évidemment, de l’argent pour obtenir des pokémons. Des Pyronilles et des Pyrax. Car avec de l’argent, on pouvait tout avoir, c’était bien connu. Et si le laboratoire possédait quelques fonds, ils ne pourraient se permettre de payer tout cela. C’était toujours au niveau financier que ça bloquait.
Un autre entomologiste dans la région ? Daiya n’en avait pas entendu parler. Enfin, ce n’était pas comme si elle sortait souvent de son trou. Elle passait le plus clair de son temps dans ce laboratoire, et le reste chez elle, dans le studio qu’elle louait. Les autres êtres humains ne l’intéressaient guère. Mais même si ça lui coûtait de l’admettre, le rencontrer pouvait être une opportunité pour en apprendre plus, et échanger sur leurs connaissances respectives.
« Eh bien, pour obtenir plus de pokémons et des machines performantes… Le laboratoire a besoin d’argent. Ensuite, les tests seront rapides, ainsi que la fabrication du tissu. »
La jeune femme avait déjà décidé d’engager une ou deux personnes supplémentaires. Pas de grands scientifiques, non ; juste quelqu’un qui sera capable de filer la soie. C’était à la portée de tous, une fois que le geste était appris.
« Bien sûr, plus le niveau du pokémon augmente, plus la soie est résistante. Quant à ce scientifique, eh bien, pourquoi pas ? Je suis sûre que nous aurons beaucoup à apprendre l’un de l’autre. »
Hypocrisie ? Peut-être. Même s’il y avait une demi-vérité dans ce qu’elle disait. Enfin, Daiya voyait déjà plus loin qu’un simple fil. Elle voulait augmenter la production, et prouver à l’État qu’il fallait revoir les normes de sécurité. Obliger chaque appartement, chaque maison à être revêtue de cet isolant thermique. Elle créerait une révolution, un appartement impossible à brûler. Elle était presque obnubilée par cette idée.
Mais elle savait qu’elle ne pouvait pas tout révéler à Maluma Cervantes ; aucune de ses idées n’était brevetée, et même s’il fallait en dire suffisamment pour qu’il décide d’investir dans ce projet, on pouvait vite la prendre pour une folle.
« Le marché du textile fonctionne plutôt bien, même s’il est dur de s’y faire une place. Mais je suis certaine qu’avec un partenariat avec une figure comme la vôtre nous serait très bénéfique… Dites-moi, Monsieur Cervantes, pourquoi vous proposer comme investisseur dans ce genre de projet ? Attendez-vous… un certain pourcentage du chiffre d’affaires, une fois le commerce lancé ? »
Daiya ne s’y connaissait guère en commerce, mais elle savait que donner de l’argent sans rien attendre en retour était quelque peu utopique. Cervantes attendait-il quelque chose de ce partenariat, si bien sûr il acceptait de financer ce projet de soierie ? Daiya n’était pas dupe, et elle ne pensait pas que l’homme à la peau basanée soit si bon qu’il accepte de donner de l’argent sans rien en retour.
- Maluma Cervantes
▬ Parfait. - il se frotte un peu les mains, en expirant fortement, les yeux rivés sur les environs - La recherche est toujours plus folle à deux, je présume.
Que ce soit pour l’excitation du partage de connaissances ou une toute autre raison, il se réjouissait déjà à l’avance d’être à l’origine d’un rassemblement de cerveaux de grande qualité. À l’image de ces détroits qui unissaient les continents de ce monde, il se voulait unificateur sur ce côté-là. Non pas par pure motivation d’améliorer les conditions de vie de tous - les siennes étaient déjà stratosphériques, celles de la population ne l’intéressaient pas (ils pouvaient toujours crever) - mais bel et bien pour être au centre d’un réseau tel que même la famille royale de Nérova ne pourrait l’ignorer. Peut-être était-ce déjà le cas, peut-être que non. Maluma ferait en sorte qu’il en soit persuadé. Ainsi, il pourrait s’amuser à taper du poing sur la table des puissants dès qu’il le voudrait. Comme ça, sans raison apparente. Juste pour le fait de pouvoir le faire quand il le souhaiterait et comment.
▬ N’ayez crainte, je m’occupe de tout ce qui est marketing et… - une légère pause - … le fait d’imposer votre soie aux possibles concurrents. - il n’a pas ses connaissances, elle n’a pas sa filouterie ; une énorme latte est tirée à l’écoute de la dernière question ; il expire - De l’argent venant directement de cette commercialisation ? - il nie - Non, vous pourrez faire ce que bon vous semble du bénéfice engendré. J’exigerais tout naturellement que l’emblème de la Campania Cervantes soit facilement remarquable sur tout ce qui touche à ces recherches et ce qui en découlerait.
Le Cervantes riait alors doucement en imaginant toutes les possibilités que cela pourrait lui offrir à l’avenir.
▬ J’irais me servir plus haut. disait-il sans le moindre complexe.
Le sous-entendu impliquait les responsables de la région. Si cette soie permettait de sauver des centaines, des milliers de vie par an, il en serait l’un des principaux instigateurs. Le chemin de celui qui pouvait atteindre les intouchables pourrait s’ouvrir à lui. Ce projet n’allait que lui servir de tremplin pour quelque chose de plus gros, profiter de la réussite et l’influence de celui-ci pour passer au-dessus des lois. Son égo surdimensionné le perdrait sans doute un jour.
▬ Bien. - il saisit sa tablette afin de lui envoyer des coordonnées par mail - Partons sur cela. Considérez que vous n’avez plus vraiment de restriction budgétaire. Vous pouvez saisir un des départements de développement de ma compagnie afin de créer des baies pouvant aider vos pokémons à créer de la soie plus efficace encore. - sa clope se termine mais aucun cendre n’en n’est tombée ; il la dépose sur un cendrier non loin de là - Autre chose que vous désirez savoir, Mme Deschênes ?
Nullement pressé de partir, le bâtiment avait attiré son attention. Néanmoins, son emploi du temps se voulait être serré en ce moment et il devait encore recruter cet homme dont il parlait peu avant.
Et Dieu seul savait que cela ne serait sans doute pas chose aisée.
- Daiya Deschênes
De fil en aiguille
Feat Maluma Cervantes
Cervantes était un homme d’affaires. Il avait de l’argent, et Daiya avait besoin d’argent. Cela paraissait simple. Mais le type à la peau basanée savait ce qu’il faisait ; il n’allait certainement pas jeter de l’argent par les fenêtres. Il devait croire suffisamment dans le projet de Daiya. La femme en était presque flattée. Pour l’instant, elle n’avait pas encore publié ses recherches, ou que par bribes, et voilà qu’un grand investisseur s’intéressait déjà à elle. Il y avait du potentiel.
L’homme n’avait pas besoin d’argent ; il en possédait déjà bien plus que nécessaire. Ce qu’il voulait à présent, c’était uniquement de la reconnaissance. Daiya acceptait ce marché. Leurs deux noms seraient visibles sur les résultats. Tout le monde saurait que les baies de Maluma Cervantes avaient servi à nourrir les pokémons qui produisaient de la soie.
Le logo de sa compagnie serait bien visible, et l’homme sera vite considéré comme un homme bon et généreux. Il était allé dans un laboratoire pour financer un projet ambitieux, pour aider des scientifiques qui n’auraient jamais eu les moyens autrement. On ne pourrait le qualifier que d’homme généreux. De l’autre côté, Daiya recevrait des éloges elle aussi. Ainsi que de l’argent. Et l’entomologiste avait besoin de cet argent.
Plus haut. Croyait-il lui aussi que ce projet pourrait intéresser l’État ? Mais l’éclat de ses prunelles ne renvoyait aucun sentiment. Daiya était satisfaite, elle. Bien qu’elle fût un peu réticente au départ, elle devait bien reconnaître que Cervantes lui serait d’une précieuse aide. Maintenant, tout ce dont elle avait besoin, c’était d’un peu de temps. Du temps pour se procurer les machines adéquates, et les pokémons qui serviraient à produire la soie. Elle effectuerait des tests en situation réelle, lorsqu’elle aurait l’autorisation de l’État.
Car Daiya visait bien cela, à présent, réconfortée dans son idée par le producteur de baies.
« Eh bien, Monsieur Cervantes, je vous remercie de l’intérêt que vous portez à mon projet. Soyez tranquille, le logo de votre entreprise apparaîtra sur tous nos résultats. »
Daiya était très professionnelle, et elle tenait ses promesses. Elle voulait que son commerce fonctionne, et n’avait prévu aucun coup-bas à l’attention de l’homme qui acceptait de la financer. Pourquoi prendre le risque de perdre tant d’argent ? Ce partenariat, bien qu’il fonctionne dans les deux sens, était surtout intéressant pour Daiya, qui ne pourrait pas avancer sans cela.
La femme observa Cervantes déposer son mégot dans le cendrier posé sur une paillasse – c’était le cendrier qu’elle utilisait lorsqu’elle fumait. Elle réfléchissait à la question du chef d’entreprise. Avait-elle besoin d’autre chose ?
Elle reçut le message qu’il venait tout juste de lui envoyer. Il confirmait l’investissement. Daiya restait impassible, mais au fond d’elle-même, elle bouillonnait d’impatience. Elle allait enfin pouvoir terminer ses analyses.
« Je crois que je n’ai plus de question… Du moins pour l’instant. J’ai vos coordonnées si jamais. Je ne vous remercierai jamais assez. À présent, je vais pouvoir finaliser mes expérimentations ; soyez certain que vous serez le premier au courant de l’avancée du projet. »
Daiya eut un sourire, sans doute hypocrite, mais quelle importance ? Elle avait ce qu’elle voulait. Elle n’avait besoin de rien de plus dans l’immédiat. Elle congédia Cervantes d’un ton plus chaleureux ; elle serait bien restée discuter encore un peu, mais elle avait beaucoup de travail. Surtout maintenant que la situation financière n’était plus un obstacle.
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